Poèmes
MEDITATION
Accroupi tout au fond de l’édifice
Entre deux colonnes de chêne rustique,
Je m’imprègne de leurs parfums mystiques
Et de l’amour qui s’est fait sacrifice,
Immobile dans la pénombre épaisse,
De l’odeur des patines incrustées,
Je devine des souvenirs oubliés,
Cris anciens, joies subtiles et détresses.
Les lueurs d’un soleil décomposé
Par un vitrail aux couleurs vives,
Embrasent mes pensées qui dérivent
Jusqu’aux pieds d’un amour démesuré.
Elles couchent sur l’ovale de mon visage,
Des pierres précieuses et des moirures d’or,
Des tableaux s’y étalent multicolores
Et s’y enflamment en un brasier volage.
Immobile dans ce silence élégant,
Qui s’enroule autour des bois patinés,
Mon âme rêve de félicité
Et ma chair de se défaire du temps.
Accroupi tout au fond de l’édifice
Que la terre m’a confié pour un temps,
J’ai hâte que s’écoulent mes printemps
Que je goûte enfin au divin délice.
DES MOTS ORDONNES
Les mots qui s’entrechoquent dans ma tête
S’ordonnent et se dispersent tour à tour,
Comme une foule qui fait la fête,
Et s’embrase sur des refrains d’amour.
Je cherche un mot qui se termine en « mé »,
Il y a bien « aimé » mais « aimer » je n’ose,
Et voilà qu’en cherchant à l’opposé,
Un triste « malheur » à moi s’impose.
Mais grâce à Dieu, il rime avec « bonheur »
Qu’aisément je pourrais utiliser
Si mon cœur retrouve toute l’ardeur
Qu’un vers par tristesse a failli briser.
Je compte, les syllabes tombent pile
Malgré ma muse un peu paresseuse,
Qui souffle des rimes bien trop faciles,
A ma plume autrefois audacieuse.
Maintenant mon esprit peut s’évader,
Et butiner le doux nectar des fleurs,
Visiter les dieux, les nymphes et les fées,
Et inventer des mots venus d’ailleurs...
LA MORT
Pendant que ton âme vivante encore
Se hâte vers des mondes incertains,
Un silence épais recouvre ton corps
Qui gît sans vie tout au bout du chemin.
Tu t’évapores et te dissous dans l’air
Comme la brume sous l’effet du soleil,
Endormie dans l’invisible lumière
Et la chaleur de ses rayons vermeils.
Moi je pleure ta chair inanimée
Que se partagent le ciel et la terre,
Toi que je n’avais pas fini d’aimer,
Tendre été de mes longues nuits d’hiver.
Ta beauté lentement se consume
Et brille au jardin de mes souvenirs,
Un linceul brodé de blanc d’écume
Te cache à mes yeux et les fait rougir
Orphelin dans cette marée humaine
Qui s’écoule vers un but inhumain.
Mon âme n’aspire qu’à rejoindre la tienne,
Diaphane esquif dans l’éther divin.
Oh mort j’aime ta victoire sans éclat
Qui de ma chair débarrasse mon âme,
Délivre-moi des malheurs d’ici-bas,
Et de mes innombrables vies, des drames.
VAGUE A L’AME
Mon âme est triste car voici le temps
Des vents d’automne qui fanent les fleurs,
Des branches qui se dénudent en vieillissant,
Et geignent comme des violons en pleurs.
Dépouillés de leur bel habit de feu
Les arbres que la saison fait mourir,
Sont pareils à de misérables gueux
Dont les tristes lambeaux se déchirent
Les vastes champs que le froid agresse
Dévoilent des sillons profonds et nus,
Où s’étalent toutes mes détresses
Et mon âme dont l’étincelle s’est tue.
Alors avide de mes confidences
Autour de moi la terre frisonne,
Qui exhale de ma peine les nuances
Et pourtant aussitôt la bâillonne.
La lumière du soleil ne peut forcer
Les nuages qui la tiennent en respect,
La nature mourante et sans alliés,
Dresse obscure des milliers de gibets.
Accablé par tant de désolation
J’erre sur l’immense champ de bataille,
Elle est loin, bien loin, la belle saison,
Il n’est signe de vie où que j’aille.
Alors en silence je tends la main
Et je m’abandonne à ma destinée,
Si je pouvais m’endormir en son sein
Et renaître d’une vie désincarnée !
CREPUSCULE
L’air orangé d’un crépuscule éphémère
Succombe au regard d’un soleil qui se couche,
Le ciel s’embrase de flammes légendaires
Que de belles vestales attisent de leur bouche.
La voûte se pare des feux d’un brasier géant
Qui se répand jusqu’aux confins de l’univers,
Et s’étire en un voile immense et rougeoyant
Où se dessinent des chevauchées guerrières.
Les collines aux lèvres béantes de volcan
Disparaissent lentement sous la brume opaque,
Des fumées s’échappent du ciel incandescent,
Et forme au fond des vallées d’innombrables lacs.
Baignées d’une clarté inhabituelle,
Les marionnettes allongées que nous sommes,
Exécutent quelques danses rituelles,
Habillées d’argile rouge et d’ocre jaune.
Et quand la lumière n’est plus que dentelle
Que tisse le silence des astres de la nuit,
Il ne subsiste dans ciel percé d’étincelles,
Que les vestiges d’une vie qui s’évanouit.
DE L’AUTRE CÔTE
Comme un souffle invisible je m’évapore
Dans l’air transparent des ombres de mon passé,
Vers d’autres rivages plus vivants encore,
Que les rythmes du temps semblent avoir laissés.
Désormais je flotte par-delà le miroir,
A l’abri du monde et de son regard glacé,
Sans doute resterai-je dans quelques mémoires,
Mais l’on ne pourra ni me voir ni me toucher.
Un bonheur éternel s’écoule autour de moi
Comme le vent sous les ailes d’une colombe,
Sur terre j’ai confié mon habit trop étroit
A l’étreinte misérable d’une tombe.
Plongé à présent dans un univers immense
Qui s’étend au-delà de la dernière porte,
Je baigne dans les souvenirs de mon enfance
Et dans plus d’amour que la terre ne supporte.
Que ceux dont la douleur hante le silence
Et qui puisent leurs larmes dans l’eau de mes yeux,
Me rejoignent dans mes rêves d’innocence
Et le mystère de mes innombrables vœux.
Une dernière fois avant de disparaître
Dans la lueur de ma nouvelle vie astrale,
Il me faudra oublier pour mieux renaître
Et secouer la poussière de mes sandales.
Emporté dans un mouvement sans fin
Qui me pousse vers la lumière d’un soleil,
Je m’agrippe à celle qui me tient par la main,
Afin que dans un autre corps je ne m’éveille !
LE BEL OISEAU
Le bel oiseau est tombé à terre,
Victime de ses rêves innocents,
Livré par un baiser au goût amer,
Déchiré son corps et frappé ses flancs.
Les épines dans sa chair s’enfoncent
Qui se livre au fer, muette et meurtrie,
Mais l’infâme couronne de ronces
Ne parvient à ébranler son esprit.
Comme un oiseau cloué sur une porte,
Le corps torturé et sanguinolent,
Il penche la tête que plus rien ne supporte,
Et perd les forces qu’écoule son sang.
Fixé là-haut sur un morceau de bois,
Les lèvres humectées d’un peu de fiel,
Il veut aller jusqu’au bout de son choix
Et mourir pour ceux qui défient le ciel.
Ses mains rompent sous le poids de son corps,
Son cœur perd la force de battre la vie,
Déjà dans ses yeux comme un voile de mort,
Le brouillard sanglant de son agonie...
Son corps mortel n’en peut plus, il supplie
Le ciel qui se ferme sous d’épais nuages,
Mais Dieu n’entend pas, tant la foule crie,
Qui l’injurie et lui crache au visage.
Alors l’oiseau s’incline et rend l’esprit
Sur la terre de son unique escale,
Invitant ceux-là mêmes qui l’ont trahi,
A le suivre au-delà des étoiles...
LE DERNIER JOUR
Lorsque dans l’air flottera un parfum de mort
Et que j’aurai claqué les portes de ma vie,
Je serai enfin débarrassé de mon corps,
Et de moi ne subsistera que mon esprit.
Pareil au grain qui doit retourner en terre
Pour que le fruit enfin puisse s’épanouir,
Je dirai adieu à mes amours si chères,
Et me rendrai là où l’on voudra me conduire.
Je serai présent à mes propres funérailles
Sans pouvoir adoucir vos douleurs humaines,
Et pour que ma pensée trop vite ne s’en aille,
Faites les rites qui soulageront vos peines.
Mes restes allongés dans l’horrible catafalque
Seront insensibles à vos larmes de douleurs,
Que vos habits noirs sur vos âmes ne décalquent,
Pour ne pas me rendre insupportables vos pleurs.
Ils ne verront plus, vos regards qui rougissent,
Qu’un corps figé de raideur cadavérique,
Car avant même que la terre ne m’engloutisse
Mon esprit aura franchi l’obscur portique.
Alors aux limites des confins de ce monde,
Là où plus jamais le temps ne se dévide,
J’attendrai que la terre comble votre tombe
Et que votre âme y laisse votre chair vide.
SOLITUDE
Tu restes quand les autres sont partis
Pesant lourdement sur mes épaules,
Revêtue d’un manteau tristement gris
Tu distribues tes plus mauvais rôles.
Tu accompagnes mes pas qui traînent
Dans l’obscure raison de mon désarroi,
Et sur la route qui vers rien ne mène,
Je m’abandonne car tu guides mon choix.
Tu es le doigt sur mes lèvres scellées
Qui ne goûtent plus aux doux breuvages,
Les mots d’amour en ma gorge nouée
Qui n’ont souvenir d’autres visages.
Tu es dans mon miroir, solitude,
Et je te vois au milieu des absents
Ne sachant plus avec certitude
Si la vie vaut qu’on s’y attache tant.
Je suis l’oiseau aux ailes repliées
Qui s’éteint dans les murs de sa cage,
Espoir et tendresse m’ont abandonné,
Je n’ai plus envie d’avoir courage !
FANTASME
Tu es là dans mes pensées les plus secrètes
Endormie sous un voile que mes doigts fiévreux,
Impatients d’effleurer ta beauté discrète
Soulèvent d’un geste délicat et langoureux.
Pareil à une étoffe de soie précieuse
Finement déroulée sur ta peau de satin,
Ta robe sculpte tes formes généreuses
Et t’épouse fidèlement jusqu’au bas des reins.
Surgie de mon rêve dans un corps nubile,
Le regard consumé de chaleurs adultères,
Tu répands dans tes caresses des plaisirs subtils
Que ne dédaignent pas mes passions passagères.
Les mots qui s’égarent de tes lèvres tendues
Fins soupirs d’une musique imaginaire,
S’inscrivent en lettres de feu sur ma peau nue
Et me confient à tes ardeurs cavalières.
Tu règnes sur mes pensées les plus secrètes
Qui naissent et disparaissent sans être apprivoisées,
Comme un miroir dans lequel tu te reflètes,
Luxurieux fantasme que je dois endurer...
LES MOTS
Il y a tous ces mots qu’il faut que l’on se dise
Que l’on peut lire sur la bouche ou dans les yeux,
Que les uns écrivent, et que d’autres lisent,
Où les douleurs se mêlent à des moments heureux
Messagers de nos pensées énigmatiques
Que les passions suscitent au plus profond de nous,
Ils récitent nos prières et nos suppliques
Et cachent des souffrances que l’on dit à genoux.
Ils sont les pierres précieuses et délicates
Qui jettent leurs feux dans le regard des femmes,
Brillant parfois de lumières écarlates
Ils attisent nos amours de mille flammes.
Mélodies enchantées dans les doigts d’une fée
Ils volent comme des papillons odorants,
Que le poète enflamme pour en faire des baisers
Qu’il dépose en secret dans le cœur des amants.
Ils sont les notes qui composent une symphonie
Et dansent sur des portées imaginaires,
Ils s’embrasent dans les vers de ma poésie,
Se surprenant dans des unions éphémères.
Ils sont mes fleurs jaunes, mes étoiles et mon ciel bleu
Qui mêlent leur musique au chant des ruisseaux,
Et quand viendra le moment de faire nos adieux
On leur pardonnera d’avoir quelques sanglots...
JE T’AIME
Je devine dans tes yeux des mondes inconnus,
Des splendeurs insondables et des feux diadèmes,
Un ciel si profond qu’un soleil s’y est perdu
Et les eaux limpides d’un merveilleux « je t’aime ».
Je veux goûter avec toi les instants fragiles
Qui frémissent au silence de notre émoi, et même
Si les mots d’amour sont pour l’amour inutiles,
En mes lèvres qui s’ouvrent ils soupirent « je t’aime ».
Tu es le refrain de mon unique chanson,
Ma tendre mélodie et mon vivant poème,
L’astre qui brille dans l’univers de mes passions
Et la mer sans rivages qui déferle en « je t’aime ».
Ton parfum me pénètre et me porte un baiser
Qui me pare du sourire d’un amour bohème,
Il souffle en mon regard comme un vent d’alizé
Qui embrase mes vers et murmure « je t’aime ».
Et si tu t’égares un jour en d’autres pensées,
Dans ton regard je ne serai plus le même,
Je ne pourrai plus continuer à t’aimer
Mais je te chercherai dans d’autres « je t’aime ».
REGARD EMERAUDE
Je me suis penché sur toi pour boire
Un baiser tiède en tes lèvres exquises,
Mais tes yeux ont croisé mon âme éprise,
Et je me suis noyé dans ton regard.
La chaude lueur d’un jour finissant
D’un voile de douceur nous entoure,
Et déroule sur ton corps le velours
Dont ma peau s’éprend en te caressant.
Lentement fondent les couleurs fragiles
Que l’ombre efface de ses doigts délicats,
Et laisse défiler le temps ingrat
Qui préserve ta beauté immobile.
Je me suis penché sur toi pour boire
Une larme qui perlait sur ta joue,
Et le bonheur dont elle avait le goût
Baigne ton corps que vient prendre le soir.
L’air embaume et gonfle ma narine
Au rythme du souffle que tu expires,
Ta chair m’appartient et je te respire
Et mes yeux en tes yeux se dessinent.
Dans l’ombre qui ne nous incommode
Des éclairs d’argent nous illuminent,
Et la passion de mes yeux marines
Se mêle à ton regard émeraude.