Fondation de l'alumnat de Notre-Dame des Châteaux en 1871
HISTOIRE DE LA FONDATION DE L’ALUMNAT DE
NOTRE-DAME DES CHATEAUX
Extrait du livre « Histoire des alumnats » écrit par Polyeucte CUISSARD et édité par « La Bonne Presse » en 1954.
FONDATION DU PREMIER ALUMNAT
Les années 1870 aux Châteaux nous font entrer dans un nouveau chapitre, celui de l’histoire de la congrégation religieuse des Assomptionnistes. L’abbé d’Alzon avait un peu plus de 24 ans lorsqu’il fut ordonné prêtre à Rome le 26 décembre 1834. Moins d’une décennie après sa prêtrise il fut nommé vicaire général de Nîmes par Mgr de Chaffoy. Dans la nuit de Noël 1845 il fondait avec cinq compagnons une nouvelle famille religieuse, celle des Augustins de l’Assomption, dans la chapelle de son collège de Nîmes.
En 1864, l’Assomption ne comptait encore que 14 membres après presque 20 ans d’existence. Le développement très lent de la congrégation appelait de la part du Père d’Alzon après 1870 une nouvelle initiative sur de nouvelles bases de recrutement. Les vocations étaient rares. « Or, disait justement l’abbé, sans apôtres, point d’Eglise, et comme on ne peut pas tout faire soi-même, il importe d’en trouver. »
Voilà qu’au dernier jour d’une neuvaine de messes à saint François de Sales en mars 1871, l’abbé Desaire, jeune prêtre de Tarentaise, originaire d’Hauteluce, alors professeur au collège de l’Assomption de Nîmes, parlait de vocations avec le Père Emmanuel Bailly : des centaines de vocations se perdent par défaut de fortune dansla Tarentaiseet les autres diocèses de Savoie. L’Assomption ne pourrait elle pas exploiter une mine si riche ? Or l’abbé Desaire lui signala dans le diocèse de Moutiers l’existence d’un antique sanctuaire dédié àla ViergeMariesous le vocable des Châteaux. Le Père D’Alzon en fut informé aussitôt. Cette découverte lui semblait providentielle pour la réalisation de son projet. Au mois de mars 1871, le Père d’Alzon disait à ses élèves du collège de l’Assomption de Nîmes, dans une instruction du samedi leur laissant entendre que Dieu, lassé de frapper plus ou moins vainement aux cœurs des enfants riches, allait se tourner vers les pauvres pour en faires des apôtres.
: « Puisque si peu parmi vous répondent au désir que nous avions conçu de vous voir embrasser l’état ecclésiastique, nous nous adresserons aux pauvres…, puisque vous vous jugez vous-mêmes indignes, nous nous tournerons vers les gentils. »
Le fondateur avouait donc la faillite de ses espoirs. Son collège qui, dans sa pensée, devait être une pépinière de vocations pour sa famille religieuse, ne lui donna que peu de recrues. La plus célèbre fut celle du Père François Picard, son disciple de prédilection, qui devait être son successeur. Plusieurs des plus brillants hésitèrent longtemps à la porte de l’Assomption et finirent par se tourner vers une autre voie tout en gardant pour elle une sympathie agissante. L’héroïsme n’est pas chose courante, on ne peut pas l’attendre du grand nombre. Les élèves du collège, venus pour la plupart des grandes familles du Languedoc n’osaient à juste titre sacrifier un avenir certain aux perspectives hypothétiques d’une Congrégation naissante. Le Père d’Alzon, comme le Maître dans l’évangile, vit partir bien des jeunes gens…
Pendant les vacances de pâques 1871 le Père Emmanuel Bailly accompagné de l’abbé Desaire se rendit en Savoie. Il avait pour mission de visiter le sanctuaire et de conclure l’acquisition avec Mgr Gros, évêque de Tarentaise, au cas où le projet leur paraîtrait réalisable. Lorsque les voyageurs arrivèrent au but ils découvrirent un site pittoresque à l’envi, mais une chapelle en très mauvais état. Le bâtiment délabré n’avait d’autre appartement habitable qu’une cuisine, et d’autres meubles qu’un vieux banc. Toiture, portes, fenêtres et cloisons, tout était à refaire. Les oiseaux se trouvaient mieux dans les vieux murs que sur les arbres. Un aigle avait établi son aire dans le creux de l’antique donjon.
En dépit, ou peut-être à cause de ce dénuement, l’endroit parut immédiatement être prédestiné à devenir un berceau vocationnel. Mgr Gros contacté par le Père Bailly remit à celui-ci la partie du domaine que Mr Blanc, notaire, avait cédé à l’administration diocésaine sans autres frais que ceux de l’acte notarié. Le 9 août, le Père Bailly se porta acquéreur du reste du domaine, ainsi que de trois petites fermes adjacentes pour la somme de 2000 francs. En lui rendant compte du succès de sa mission, le Père Bailly écrivit au Père D’Alzon : « Nous avons découvert dans l’acte d’achat que nous avions le droit de porter le titre honorifique attaché à la propriété. Ce titre est ni plus ni moins, « Prince de Beaufort », avec comme armoiries, un lion d’or sur fond de gueule ». Le Père d’Alzon écrit à ce sujet, un peu amusé, à Marie Correnson le 13 août 1871 : « Qui est la prince de Beaufort ? Ni plus ni moins que le Père Bailly qui m’écrit en signant Prince de Beaufort. Il paraît qu’il en a le droit par le fait qu’il a signé le contrat de vente. Prince d’une principauté de4 hectares et demi, cela l’arrange considérablement. »
Certes, tout le monde ne fut pas acquis d’emblée à cette acquisition. Quelle folie ; disaient certains, d’aller se nicher si haut dans cet endroit perdu, trop petit et inabordable en hiver…
Le premier août suivant, le Père Bailly et deux autres religieux se rendaient de Nîmes aux Châteaux, avec un arrêt àla GrandeChartreuseoù les moines se montrèrent généreux pour le projet de fondation.
Arrivé par surprise sur la colline, le Père d’Alzon y convoqua les principaux conseillers de la congrégation pour y jeter les bases de sa nouvelle fondation, l’alumnat.
Nous possédons de lui des lettres étonnantes, descriptives du site, démonstratives de cette foi enthousiaste qui lui fait entrevoir un avenir lumineux à toutes ses entreprises : « Je veux que la première lettre de Notre-Dame des Châteaux vous (Louise Chabert) soit adressée. Figurez-vous que de ce mamelon auprès duquel le Coq n’est qu’une taupinée, on a vue sur quatre vallée admirables ; au midi une longue ligne de sapins, distante de Notre-Dame de sept ou huit kilomètres; derrière, un pic en pain de sucre, derrière lequel ce soir, la lune nous faisait l’effet d’un voleur; à droite, la magnifique vallée de Villars et d’Albertville dont le fond est sillonné par le Doron ;un peu à droite, la vallée d’Arêche, terminée par ces montagnes à neiges éternelles ; plus à droite, Beaufort et des sapins, et des sommets neigeux, et des formes de montagnes incomparables ; enfin au nord, la vallée de Hauteluce. Et tout cela admirable, splendide. Si nous achetons les Vanches il faut absolument y venir… Mais quelle végétation ! Des sapins, des prairies, des bois immenses ! Un air ! Du lait ! Un appétit ! Je pense que l’on pourra bientôt commencer à recevoir les enfants. Cette année une douzaine ; puis un peu plus, puis on bâtira s’il le faut… »
De là-haut, le Père Emmanuel Bailly, le Père Picard et le Père Emmanuel d’Alzon allaient donner naissance à cette intuition apostolique féconde, l’alumnat, future pépinière de vocations, tant pour le clergé que pour les congrégations religieuses. Il fut décidé que la maison serait exclusivement réservée à l’éducation ecclésiastique d’enfants pauvres.
Quant aux études, elles s’écarteraient des méthodes d’éducation en usage et seraient adaptées au but essentiel qui était de préparer des prêtres fervents, d’une piété solide, d’une intelligence très cultivée, et d’un caractère très fortement trempé. Le candidat devait avoir douze ans, être un bon élève de l’école primaire et savoir assez de français pour pouvoir se mettre immédiatement au latin. On exigerait de lui une intelligence au-dessus de la moyenne, capable en cinq années de parcourir tout le cycle des études secondaires. Trois ans dans un alumnat de grammaire, et deux ans dans un alumnat d’humanités. Pendant les années de grammaire on n’expliquerait que des auteurs chrétiens en latin et en grec.
Un autre caractère très marqué devait être la formation pauvre et austère. Les enfants accompliraient eux-mêmes les soins de ménage et de propreté. On les habituerait aussi à des travaux manuels, couper du bois, cueillir fruits et légumes, réparer les murs, ramasser les foins etc…
On ne prévoyait point de vacances dans la famille, pas de distractions dangereuses, pas d’exemples funestes ni de gâteries énervantes. Pendant cinq ans l’enfant ne quitterait pas l’alumnat. Pas de punitions, mais des reproches publics. Pour les récréations, les jeux et les promenades, les religieux sans cesse mêlés aux enfants, entretiendraient parmi eux l’entrain et la joie. Leur présence ferait fuir le mauvais esprit et garantirait la distinction et la pureté des conversations.
L’inauguration de l’alumnat eut lieu le 28 août 1871, fête de St Augustin. Ce jour-là le Père d’Alzon, entouré de ses religieux, célébra la sainte Messe dans la chapelle de la Madonedevant les 5 premiers élèves, âgés de 12 à 14 ans. Un sixième survint pendant l’office. Quand le Père d’Alzon se retourna pour leur adresser une petite allocution, il fut surpris de la présence du nouveau venu et son esprit primesautier lui inspira la pensée des six cruches de Cana. « Vous ne contenez actuellement rien de bien précieux, mais Notre Seigneur va vous remplir du vin exquis de la science et des vertus, et le nouveau miracle se fera par l’entremise de la sainte Vierge. » C’est sous ce nom de « cruches » que les alumnistes fondateurs des Châteaux passèrent à la postérité.
LES HEURES TRISTES DE L’EXIL(1903)
Vint la séparation des Eglises et de l’Etat en France au terme d’une longue lutte d’influence. Déjà le décret officiel de 1880 qui avait fermé les noviciats des religieux de l’Assomption avait laissé subsister les alumnats, sans doute trop pauvres pour tenter les liquidateurs. Mais le 11 novembre 1899, les religieux qui enseignaient dans les alumnats furent accusés de délit de congrégation avec interdiction d’enseigner. En ce qui concerne les Châteaux on essaya de contourner la difficulté. Pour conserver l’alumnat, les religieux prirent le titre d’abbés séculiers et se mirent sous la juridiction de l’évêque de Tarentaise, Mgr Lacroix. Le Supérieur devint le chapelain du sanctuaire.
DEPART DES CHATEAUX (1903)
Le 27 novembre 1903 les religieux qui étaient restés se voyaient définitivement condamnés par la cour d’appel de Grenoble, au terme d’une résistance qui avait épuisé toutes les formes passives. Mais les lois sur les Congrégations provoquèrent la fermeture du doyen des alumnats qui comptait trente ans d’existence, malgré une tentative avortée de transformation en école secondaire régie par la loi Falloux.
La fermeture de l’alumnat est racontée dans les Ephémérides de manière suivante :
Mercredi 16 décembre 1903. Nous ne nous laisserons expulser que « manu militari ». Nous faisons nos bagages.
Jeudi 17 décembre 1903. Des amis viennent nous dire leur douleur de nous voir partir.
Vendredi 18 décembre 1903. A 15 heures nous recevons l’arrêt dela Cour d’Appel nous ordonnant de fermer l’école. Nous nous rendons à la chapelle pour chanter le Magnificat.