Alumnat St Rosaire de Miribel les Echelles
Ci-dessous un extrait d'un écrit qui retrace ma vie à l'alumnat...
…/… Le Père Bonon, bien que compétent dans sa discipline, n’était pas comme le Père Henri, son homologue de Scherwiller, un passionné de photo. L’alumnat possédait bien un labo photo, mais pas de photographe. L’élève qui s’en était occupé l’année précédente était maintenant en terminale, et la préparation du baccalauréat ne lui permettait plus de poursuivre cette activité. Quelle aubaine pour moi ! Fort de l’expérience que j’avais acquise à Scherwiller mais plus encore auprès de mon père, je me suis porté volontaire auprès du Père Boris qui m’a alors remis les clés de la chambre noire. Voilà comment je suis devenu le photographe de l’alumnat.
Le labo dont les fenêtres avaient été occultées avec du papier noir, se trouvait au rez-de-chaussée dans une pièce au fond d’un couloir, coincé entre un débarras et un local où le Père Robin entreposait ses produits pour le jardin. J’avais à ma disposition tout le matériel nécessaire, un agrandisseur, des bacs pour les différents bains, une glaceuse pour sécher les épreuves et bien sûr du papier photo. Le mur du fond était tapissé d'étagères sur lesquelles dormaient d'innombrables pellicules et plaques photographiques retraçant le passé de l’alumnat, et qui à sa fermeture ont sans doute été perdues pour toujours. J’ai fouillé plus d’une fois ces boites poussiéreuses qui devaient traîner là depuis fort longtemps à la recherche de je-ne-sais quel trésor photographique, mais il n'y avait que des négatifs qui pour ma curiosité ne présentaient aucun intérêt...
Avec l’appareil photo que l'on m'avait offert pour ma communion solennelle, je photographiais toutes sortes de scènes de la vie quotidienne de l’alumnat pour revendre ensuite les photos dont j’avais fixé le prix à 25 ou 30 centimes, juste de quoi me permettre de racheter des produits et du papier. Je développais également les photos de ceux qui avaient leur propre appareil, prenant le temps nécessaire non seulement sur mes heures de loisirs, mais également sur mon temps d'étude. Le soir en effet, plutôt que de regarder la télévision, je préférais descendre au labo et m’adonner à cette passion naissante qui ne m’a plus jamais quittée depuis. Certains soirs il était plus de minuit lorsque j’allais me coucher, et tout le monde dormais déjà. Je me souviens qu’au deuxième trimestre j’ai passé tant d’heures à faire des photos que mon travail scolaire s’en était ressenti et qu’au bulletin, plutôt que de figurer comme d’habitude parmi les trois premiers, j’ai rejoint douillettement le peloton de queue pour finir tout bonnement dernier. C'était dû non seulement à une grosse commande de photos des Pères que j’avais pris dans leur classe, mais également à toutes les photos d'identité des élèves de l’alumnat. Je vous laisse imaginer la réaction de mes parents lorsqu'ils eurent mon bulletin ! Croyez-moi que les pendules ont très vite été remises à l’heure, et que le bulletin du troisième trimestre m’avait à nouveau propulsé dans le peloton de tête.
La clé dont je disposais pour accéder au labo photo était en quelque sorte une clé magique, un passe-partout, car la majorité des serrures étaient du même modèle. Un jour je l’ai essayée sur une autre porte et, oh miracle, elle en ouvrait la serrure. Pourquoi alors ne pas la tester sur toutes les portes de l'alumnat ? Et c’est ce que fis ! Je l’ai tout d’abord essayée sur la porte qui de notre dortoir donnait sur un grenier qui avait depuis longtemps aiguisé ma curiosité, et elle fonctionnait. Je l’ai ensuite testée sur la porte qui ouvrait l’accès à une petite tour avec un escalier qui permettait de sortir sans passer par les couloirs du bâtiment principal. Et là aussi elle fonctionnait. En réalité elle ouvrait beaucoup d’autres portes qui permettaient l’accès à des pièces secondaires et sans intérêt. Mais soyez rassurés, je n’ai jamais essayé d’ouvrir des portes donnant sur des chambres privées, ma curiosité n’allait pas au-delà de ce que ma conscience m’autorisait !
Je mis alors dans la confidence, Julien et Daniel qui furent immédiatement d’accord pour venir explorer avec moi ce vaste domaine un peu mystérieux. Nous décidâmes alors de faire nos « explorations » le jeudi ou le dimanche après-midi pour avoir suffisamment de temps.
Notre premier objectif, le plus facile aussi, fut le grenier à coté de notre dortoir. Nous y sommes donc montés discrètement un jour après avoir pris soin de ne pas être repérés, et avons ouvert la porte de ce que nous pensions être une caverne d’Ali Baba. En fait, l’une des pièces devait faire partie du domaine du Père Bonon, car elle était pleine d’instruments de mesure, la plupart en bois et en laiton, qui étaient sans doute très anciens et devaient attendre qu'un jour quelqu’un les trouve suffisamment beaux pour les exposer dans la vitrine d’un musée. Il y avait des boites ravec des burettes, des fioles, des instruments en verre, des thermomètres, des densimètres et d’autres objets qui se terminaient en « mètres » mais dont nous ignorions l’usage. Tous étaient soigneusement emballés. Nous les auscultions rapidement et les remettions ensuite à leur place. Nous sursautions au moindre bruit tant nous redoutions de nous faire surprendre. Heureusement toutes nos « explorations » se sont toujours bien passées, et les fausses alertes n'avaient comme unique effet de nous plonger dans des fous rires qui à force d’être retenus devenaient douloureux.
Les autres pièces étaient elles-aussi consacrées au stockage de vieilleries, quelques statues en mauvais état, des tableaux et des images saintes qui jonchaient le sol, recouverts de toiles d'araignées et d'une épaissecouche de poussière. Nulle trace de trésor, nous aurions d'ailleurs été très embarrassés si trésor il y avait eu, car qu'en aurions nous fait? Notre intérêt se trouvait davantage dans la démarche que dans la découverte, car ce que nous faisions était quelque chose de véritablement exceptionnel et de surcroît nous étions les seuls à pouvoir le faire ! C’était notre secret, un secret si bien gardé que personne n’en a jamais rien su...
Un peu plus tard nous avons « exploré » une pièce très propre au parquet ciré, et aux murs couverts d’étagères remplis de livres. Mais ce qui nous avcait intéressé dans cette pièce ce n'était pas tant les livres que le grand télescope trônant au milieu de la pièce, un téléscope que nous avons eu du mal à régler, mais qui nous a néanmoins permis d'observer quelques détails dans le massif de la Chartreuse d'en face. Pour savoir ce que donnerait l'observation de la lune et des étoiles nous sommes revenus à plusieurs reprises durant le nuit, mais les points lumineux dans le ciel restaient désespérément flous. Nous avons donc considéré que le mot « télescope » était bien prétentieux pour ce grand tube en laiton, et que pour nous il n'était rien de plus qu’un objet de décoration. Avec l'exploration cependant de cette pièce nous avions gravi un échelon de plus dans les risques que nous prenions à « visiter » des pièces qui, visiblement, n’étaient pas toutes à l’abandon...
Nous décidâmes alors de faire encore plus fort, en entreprenant « l’exploration » d’un petit sous terrain qui partait d’une salle située sous l’église et que nous pensions être un conduit menant dans une salle secrète. La première tentative n’avait rien donné car sans lumière nous ne pouvions plus avancer. Nous y sommes donc retournés un peu plus tard avec des bougies et une boite d’allumettes. Je puis vous certifier que nos cœurs battaient nettement plus vite que d'habitude. Le sous terrain était une espèce de galerie longue d’une vingtaine de mètres dans laquelle il fallait marcher accroupis, et qui débouchait dans une petite salle contenant un réservoir. Depuis cet endroit elle rétrécissait de plus en plus, nous obligeant à ramper pour continuer à avancer. Gagnés par la peur, nous avions décidés de ne pas aller plus loin. Courageux mais pas téméraires ! Nous n’avions aucune envie de nous perdre, d’autant plus que personne n’aurait su où nous trouver...
Toutes ces expéditions nous ont appoté notre part de petites frayeurs, mais l’alumnat n’avait pratiquement plus de secrets pour nous. Grâce à la clé du labo photo nous en avions fait le tour, cette clé que dans la précipitation du départ en vacances j’avais oubliée de rendre, et que j'ai toujours gardée comme souvenir.
Il fallait maintenant après « l’exploration » intérieure, passer à des sensations différentes et sortir du bâtiment. Une petite tour avec un escalier en colimaçon permettait de descendre dans la cour en passant par le dortoir. C’était une espèce d’issue de secours mais fermée à clé. Qu’à cela ne tienne, j’avais la bonne clé. Mais il n’y avait aucun intérêt pour nous de passer par là en plein jour, c’était vraiment trop banal. Il nous fallait quelque chose de plus excitant, l’utiliser en pleine nuit par exemple ! Nous décidâmes donc de faire une petite sortie nocturne. C’était au mois de mai et les cerises commençaient à prendre des couleurs, le moment idéal pour mettre notre plan à exécution. Le soir venu, et suivant une vieille recette mise au point à Scherwiller, j’avais mis une brosse pour habits sous les aisselles pour me réveiller en pleine nuit. Le système a parfaitement fonctionné car je m'étais réveillé vers une heure du matin. Après avoir réveillé Daniel et Julien et nous être habillés en silence, nous avons tous les trois emprunté l’escalier en colimaçon qui descendait dans la petite tour adossée au bâtiment principal, et quelques minutes plus tard nous étions dehors...
Le plus dur était fait. Il y avait d’ailleurs peu de risques que quelqu’un remarque notre absence, car aucun Père ne montait jamais au dortoir en pleine nuit, enfin presque... Nous avons alors quitté la cour de l’alumnat par l’arrière et avons emprunté le sentier qui montait à la statue de la Vierge, cueillant au passage quelques cerises. Arrivés au sommet de la colline, nous avons gravi l’échelle métallique et nous sommes assis au pied de la statue. La nuit était très claire et nos yeux, habitués à l’obscurité, goûtaient au spectacle grandiose. Jamais nous n’avions vu un si beau ciel étoilé... Nous n’étions pas peu fiers d’avoir réussi à faire ce que nous considérions comme une opération à haut risque, et nous étions sans doute les premiers et les derniers à avoir jamais osé entreprendre une telle expédition. L'inconscience de la jeunesse, mais comme nous étions trois, nous nous encouragions mutuellement. Au bout d’une demi-heure et un peu fiévreux à l’idée de devoir refaire le trajet en sens inverse, nous avions décidés de retourner à l’alumnat et sans bruit, avons regagné nos lits. Notre nuit de sommeil avait été courte, mais quelles émotions ! Personne ne s’était aperçu de rien et notre discrétion resta totale, de peur que l’histoire de notre escapade nocturne ne parvienne aux oreilles du Père Boris qui ne nous aurait sans doute pas félicités... Par la suite nous fîmes encore deux ou trois « sorties », mais lassés par le trajet, nous finîmes par y renoncer. D’autres aventures nous attendaient...
Comme je le disais plus haut, notre dortoir était peu fréquenté par les Pères, excepté le Père Robin, un couche-tard, qui y faisait souvent une rapide ronde avant d'aller se coucher. Nous ne chahutions pas vraiment, mais certains soirs le dortoir était plus effervescent que d’habitude. Ainsi un soir, pour mettre un peu d’ambiance, j’avais décidé de faire une expérience chimique que le Père Bonon nous avait décrite. Le chlorate mélangé à du sucre en poudre, disait-il, brûle d’une façon très vive, un peu à la manière d’un feu de Bengale. Le sucre en poudre fut facile à trouver. Pour le chlorate en revanche il m’a fallu l’aide de ma clé qui ouvrait le local où le jardinier entreposait des produits, parmi lesquels du chlorate utilisé comme désherbant. J’ai donc mélangé ces deux poudres dans une assiette que j’ai placée au milieu du dortoir. Tout le dortoir était évidemment autour de moi pour assister à l’expérience. Quelqu’un avait mis un balai en travers de l'escalier afin d'être prévenu par le bruit de sa chute au cas où un Père s'aviserait à monter au dortoir. J’ai ensuite craqué une allumette et mis le feu à la poudre qui s’est immédiatement enflammée d'une flamme très brillante en dégageant par ailleurs une fumée épaisse et âcre sentan le caramel et qui a envahi le dortoir tout entier. Mon Dieu, que faire ? La fumée n’était pas prévue dans mon plan, pas davantage d’ailleurs que le bruit de pas qui résonna soudain au bas de l’escalier. En un clin d’œil, et plus vite qu’il ne faut le dire, nous avons tous regagné notre lit et avons fait semblant d’être profondément endormi, moi y compris... Il y eut soudain, le fracas d’un manche à balai qui vole en éclats et les vociférations du Père Robin qui s’y était pris les pieds. Nous eûmes tous beaucoup de mal à ne pas éclater de rire, tant la situation était comique, sauf pour le Père. Imaginez sa stupeur lorsqu’il vit la fumée dans un dortoir où régnait un calme exemplaire. Quelque chose ne tournait pas rond, mais quoi ? Comprenant immédiatement la situation il eut un accès de rage et se précipita aussitôt en direction de mon lit. Cette fois-ci je vais déguster! Pourquoi d’ailleurs mon lit et pas un autre ? C’est la question que je me pose encore aujourd’hui. En tout cas, et il n’eut pas besoin de me le répéter deux fois, il me prit par les cheveux et me tira hors de mon lit en me demandant de l'accompagner à la salle d’étude, pendant que mes petits copains se pinçaient pour ne pas éclater de rire. Là, il me fit asseoir à une table et ouvrit le « Lagarde et Michard » de 1ère. Il choisit un texte de Rousseau que je dus apprendre par cœur. Au bout d’une demi-heure, j’ai dû le lui réciter avant qu’il ne me donne la permission d’aller me recoucher. A mon retour au dortoir, tout le monde dormait réellement, et ce n'est que le lendemain que nous nous repassâmes le film des évènements...
Ceci montre à quel point nous prenions parfois des libertés avec le règlement, risquant parfois de nous faire taper durement sur les doigts. Mon divertissement nocturne n’eut cependant pas de suites. Le Père Robin n’en avait pas fait un drame et tout était rentré dans l’ordre. L’épilogue de cette histoire eut lieu à la fin de l'année scolaire suivante lors de mon épreuve de français du baccalauréat. Le hasard fit que le texte que j’ai eu à expliquer à l’oral était celui-là même que le Père m’avait obligé à apprendre par cœur. L'avoir appris par coeur ne m'apporta aucun avantage, mais tout de même la coïncidence était assez étrange…/…