HISTOIRE DE LA FONDATION DE L’ALUMNAT DE MIRIBEL

 

Texte tiré du livre « Histoire des alumnats » écrit par Polyeucte CUISSARD et édité par « La Bonne Presse » en 1954

 

           La fondation de l’alumnat de Miribel nous est heureusement racontée par le T.R.P Gervais Quénard qui fut, âgé de douze ans, de la première génération. Nous ne pouvons mieux faire que de lui laisser la parole : «  Le 6 décembre 1877, 8 fondateurs de la troisième section (c’était alors celle des commençants) ayant été désignés pour Miribel, quittaient le Châteaux où ils venaient d’arriver. Ils firent leurs adieux aux autres. Au fond de la vallée frileuse et tout un après midi ils arpentaient à pied la longue route d’Albertville. Un mulet très connu conduisait leurs bagages. La petite troupe marchait d’un air décidé, priant ou chantant autour du Père Frédéric Reynaud, le bon Père à longue barbe qui les apostrophait de gentillesses pittoresques : « Grand mulet, grand mouton ! »C’est lui qui disait un jour avec une rare hardiesse d’images : « Ce cochon de chien, il court comme un veau ! »

Parmi ces 8 enfants, 7 au moins sont parvenus au sacerdoce. Le huitième est douteux. C’est un magnifique exemple de persévérance.

Ils passèrent par Chambéry, saluèrent la cascade de Coux, le grand tunnel de Lepris, le lac d’Aiguebelette, autant de spectacles curieux pour des regards d’enfant en cette froide matinée de décembre. A St Beron, une lourde voiture reçut les voyageurs et leurs bagages. « C’est dans cette allure de triomphateurs que nous passions les merveilleuses gorges de Chailles et que soudain, nous aperçûmes sur son lointain piton, la Vierge de Miribel, Notre Dame du Château (coïncidence remarquable pour l’essaim parti des Châteaux.

Arrivés à Entre-Deux-Guiers nous allégeons la voiture de nos personnes et poursuivons à pied la longue côte. Il est midi passé et la route s’allonge d’autant plus que l’heure du diner approche. Enfin au dernier tournant, Miribel apparaît, ramassé autour de sa grande église blanche, et le Père Frédéric nous montre par-delà le vallon, une modeste maison bourgeoise qui s’élève à l’entrée du village, juste au-dessus de la route. C’est la nouvel alumnat que l’abbé Buissière met à notre disposition. En approchant nous regardons de tous nos yeux. La maison est assise sur un terre-plein établi sur une pente raide, et puis se prolonge vers le village par un jardin triangulaire. Mais en dehors de cette étagère soutenue par un mur, le terrain dévale en pente d’une seule ligne depuis le chemin supérieur, où il y a une porte ouverte au sommet d’un long escalier jusqu’à la route des Echelles, le long de laquelle court un long mur de pierres sèches. Une rangée de noyers sans feuilles marque la clôture de ce côte.

Le Père a déployé une bannière de Notre-Dame des Vocations, et il nous met en procession pour aller tout d’abord à l’église à travers le village.

On reprend tout d’abord une des innombrables dizaines de chapelet récitées en cour de route et qui se terminent toujours comme à Lourdes par le chant du Gloria Patri.

Jugez de l’effet que nous produisions en débouchant sur la place par le petit chemin montant ! Les braves Miribelains ne rient pas mais ils se signent dévotement… A la maison, Mr Buissière vint nous recevoir. Nos balluchons étaient arrivés dans l’intervalle. Pendant les premiers jours, ces malles et ces valises devaient nous servir de sièges.

La maison comprenait quatre pièces présentables, mesurant chacune quatre ou cinq mètres de côté. Disposées en deux étages, elles s’élevaient symétriquement au-dessus de deux autres pièces qui, bâties elles mêmes en demi-sous-sol et ouverte du côté de la pente raide, formeraient cave et cuisine.

Cette construction à peu près neuve, s’appuyait elle-même, à l’arrière, contre une vielle maisonnette où l’on trouvait encore quelques pièces utilisables. Une espèce de cave sans autre ouverture que la porte à deux battants, devint la chambre du supérieur. Au-dessus, un grenier à demi ouvert devint une chapelle vraiment glaciale. Il y avait encore deux chambrettes, longues et étroites qui semblaient emprisonnées par la construction nouvelle. Cela donna un parloir au rez-de-chaussée et une prétendue chambre d’étranger au premier.

Des quatre pièces neuves on en prit deux pour y mettre des lits, et dans les deux autres on constitua une étude et une classe, car il faudra bientôt nous dédoubler à l’arrivée de quelques nouveaux qui n’avaient pas encore fait de latin.

Au bout de la cour à l’endroit où régna longtemps le préau, il y avait tout d’abord une écurie où subsistaient une mangeoire et d fortes odeurs. Elle s’ouvrait au fond d’une grange fermée de deux battants disjoints. Ce fut le réfectoire et on mangea de bon appétit.

En réalité, l’alumnat possédait comme principale richesse la splendeur du paysage, celui même qui enveloppe en face, la Grande-Chartreuse de saint Bruno. Les jeunes recrues avaient pensé durant leur bref séjour aux Châteaux, toucher au maximum de la frugalité. Voici qu’à Miribel cela leur paraissait une période d’abondance. C’est dire que sans artifice de style, on peut parler de temps héroïques. Songez que durant les deux premières années, à côté du Père Vincent Chaine, supérieur de l’alumnat, dont on peut dire sans lui manquer de respect qu’il n’avait rien d’un intellectuel, il n’y avait qu’un seul jeune religieux professeur, le Frère Rodolphe Messager qui, rentré par la suite dans le clergé séculier, est aujourd’hui un octogénaire qui garde un souvenir ému de ces années lointaines.

« Un jour arriva de Paris une grande caisse d’où l’on sortit des livres, des cahiers, des encriers, et ce fut un événement mémorable. Jusque là nous apprenions tout par cœur, à l’antique, sans même une note, faute papier. A défaut d’une autre pâture nous apprîmes ainsi en entier le jardin des racines grecques de Jacques Lancelot, dont on avait un exemplaire par le plus grand des hasards. » On aurait peine à croire un pareil dénuement, n’était l’autorité de celui qui le dépeint. Quoi d’étonnant que la seconde fournée d’alumnistes qui vinrent se joindre aux fondateurs aient montré moins d courage que leurs aînés.

Cette double équipe accomplit durant l’été 1888, le plus extraordinaire des pèlerinages. « Notre curé, l’abbé Meyer qui était en même temps notre directeur académique, avait fait vœu d’aller à La Salette à pied. Même sans le vœu nous en fîmes autant, et après coup, cette randonnée avec 12 ou 13 gosses me paraît un record. Pensez aux étapes parcourues, vous qui connaissez les distances. A pied ce n’était rien, mais presque sans vivres, c’était audacieux. Premier soir à Grenoble, très facilement. Le lendemain, marche toute la journée par Vizille et les lacs de Laffrey. On avait l’espoir de souper à la Mure, mais rien n’était prêt chez Mr le curé prévenu en vain… On alla se coucher dans la grange d’un protestant très accueillant. A douze ans on trouva cela très amusant… »

Le Père Alype allait pendant trente ans s’identifier à l’alumnat qui avait pris pour patronne Notre Dame du Saint Rosaire.

  Il connaissait d’expériences les difficultés qui l’attendaient, puisque les trois années précédentes il avait ajouté la charge d’économe à celle de professeur.

Chargé, avec la santé délicate, d’organiser une œuvre encore sans racines dans un pays nouveau, il se mit bravement à la besogne. Né, semble-t-il pour commander, doué d’un sens remarquable de l’initiative, il apporta en toutes choses une méthode persévérante qui ne s’égara point en l’aventure et qui n’aura jamais de défaillance. La Providence sans doute est bonne et généreuse, mais elle veut être aidée par des moyens humains : « Aide toi et le ciel t’aidera. » Ce fut sa devise implicite.

Il commença par fonder le groupe des associés qui promettent de s’intéresser à la vie de l’alumnat en versant une modeste obole. Souvent aussi, laissant les enfants au soin des professeurs, le supérieur partait pour aller faire des visites à domicile et frapper à des portes encore inconnues. On le recevait avec bienveillance d’ordinaire. Parfois quand même, c’était le refus catégorique et hautain, ou le sarcasme qui glace le courage.

Ces voyages fréquents n’allaient pas sans inconvénients. C’est pourquoi un jour le Père Alype prit la résolution de se fixer à son bureau et de demander l’aumône par la plume. Procédé moins efficace sans doute que le contact personnel, mais qui permet de faire beaucoup plus de contacts, et puis, plus on a de courage et d’éloquence quand on s’adresse à un personnage invisible. Mais quelle servitude que celle de l’épistolier rivé à sa table et recommençant jour après jour les mêmes formules et les mêmes démarches.

C’est pourquoi il en vient tout naturellement au moyen efficace d’atteindre d’un seul coup des milliers de bienfaiteurs possibles. Il fonde un bulletin mensuel le petit alumniste. Durant tout son séjour à Miribel il rédigea et administra le bulletin presque tout seul. Ceux qui sont du métier peuvent comprendre ce que cela représente comme charge de travail et de patience. Un bulletin cependant n’intéresse que s’il est illustré. Mais où trouver des clichés ? Le Père apprit la photographie et passa vite maître dans cet art. Il saisit sur le vif des scènes parlantes qui forment une magnifique collection en même temps qu’une source documentaire de premier ordre.

Comme il fallait aller assez loin pour se faire imprimer, on acquit quelques machines démodées qui furent ensuite remplacées par des neuves. On installa une imprimerie près de l’alumnat pour y imprimer le bulletin et même de gros volumes. Le soir quand tout reposait à la maison, le supérieur s’attelait à sa correspondance jusqu’à une heure avancée dans la nuit.

Le petit alumniste se fit le promoteur ardent de la dévotion à St Antoine de Padoue, le grand thaumaturge qu’on invoque efficacement pour trouver le pain quotidien. En 1893, le Père Alype donne saint Antoine comme second patron de l’alumnat et fonde la journée de pain simple et à perpétuité. Il obtient de célébrer le mardi la messe votive du Saint, et de donner le Salut. Saint Antoine répondit largement à la confiance de ses enfants. Aussi, près de l’alumnat, le Père Alype fit construire une chapelle à Notre-Dame du Saint Rosaire et à saint Antoine. Bâtie par souscription sur le modèle de Fourvière, elle sert toujours aux beaux offices de l’alumnat.

Le Père Paul arrivé en 1891 succéda au Père Alype. « Il était, écrivit un ancien, un nouveau Gutenberg. Dans un coin du dortoir, là-haut sous les combles, le Père avait avec l’aide d’une machine à coudre, fabriqué de ses mains une machine à imprimer qui rendit de précieux services au Petit alumniste naissant… »

Vint la persécution, et Miribel connut comme les autres maisons, le cortège scandaleux des perquisitions et des procès. Le Père Alype fut cité devant les tribunaux et dut subir maintes descentes de Parquets, maintes visites de juges de paix et de gendarmes. Ceux qui ont vécu ces années savent le travail écrasant qu’il s’est imposé alors, car il n’épargna rien pour sauver l’œuvre menacée d’expulsion. Il fit si bien que les persécuteurs se trouvèrent pris au piège. Un des avocats du gouvernement avait produit au procès un acte antidaté qui fut de ce fait frappé de nullité. Un député, ami des religieux porta l’affaire à la Chambre, et Mr Combes, de sinistre mémoire, déclara qu’il n’y avait plus d’affaire Miribel. De fait, la maison ne fut plus jamais inquiétée, et après un orage de deux ans, elle poursuivit tranquillement ses destinées dans des conditions nouvelles imposées par les circonstances. Le personnel de l’alumnat, sécularisé sur place et inscrit officiellement dans le clergé diocésain, continua d’assurer avec le concours de quelques prêtres dévoués, la formation des enfants.

La seule différence fut qu’on nommait « Monsieur l’abbé » ceux qu’on avait précédemment appelés « Mon Père ». Néanmoins la plus grande prudence s’imposait pour éviter la suspicion des pouvoirs publics. On réduisit au minimum les rapports avec la Congrégation, et ce fut pour les isolés de Miribel, une longue épreuve très méritoire, dont on n’apprécie pas toujours l’étendue. Le nom ni le costume ne changèrent rien à l’esprit. Chaque année les rhétoriciens mis, vers la fin de leurs études, dans le secret de la situation, envoyèrent au noviciat de l’Assomption d’excellentes recrues. Par la force des choses, on fut obligé de garder sur place les élèves jusqu’à la fin de leurs études classiques. L’alumnat s’appela dès lors : « Institution de Notre-Dame du Rosaire. »

L’union sacrée de la guerre 1914-18 devait mettre fin à la situation exceptionnelle de Miribel. Bientôt à la faveur d’une opinion plus tolérante et d’un gouvernement qui fermait les yeux, d’autres alumnats s’établirent en France, et Notre-Dame du Saint-Rosaire reprit son nom d’alumnat.

En 1937, solidement assis sur son roc, avec des bâtiments plus vastes et mieux répartis, dans une propriété étendue et embellie, l’alumnat célébrait solennellement le cinquantenaire de sa fondation.

Durant la dernière guerre, malgré la mobilisation et toutes les difficultés que rencontrèrent les maisons d’enseignement, l’alumnat a poursuivit sa marche glorieuse…