Fondation de l'alumnat Ste Odile de Scherwiller

Carte du 30 mars 1926 où le Père Césaire dit à son neveu Hubert qu'il a du changer d'architecte afin que les travaux avancent plus vite et que l'alumnat puisse ouvir à la rentrée de septembre...

Supérieurs de l’alumnat de Scherwiller

de1920 à 1978.

 

P.Gustave RANSON                      1920 à 1924

P.Michel des Saints CAULIEZ         1924 à 1929

P.Bernard FINAERT                      1929 à 1933

P.Nicolas RAUSCHER                    1933 à 1939

Guerre 1939/1945                       alumnat fermé

P.Nicolas RAUSCHER                   1946 à 1947

P.Alexis DISS                            1947 à 1953

P.Joseph de la Croix BERGER        1953 à 1956

P.Alype HURSTEL                       1956 à 1962

P.André WENGER                        1962 à 1968

P.Albert VONROSPACH                1968 à 1969

P.André WENGER                       1969 à 1972

P.Albert ROESCH                        1972 à 1977

 

HISTOIRE DE LA FONDATION

 

DE L’ALUMNAT DE SCHERWILLER

 

 

Texte tiré du livre « Histoire des alumnats » écrit par Polyeucte CUISSARD et édité par « La BonnePresse » en 1954

 

   Dès 1907, le Père Emmanuel avait chargé le Père Césaire KAYSER de préparer le terrain pour une fondation d’alumnat en Alsace, d’où nous étaient venues d’excellentes vocations. Celui-ci avait alors à Berlin des connaissances influentes qui lui avaient promis leur appui.

 

En automne 1907, il se rendit donc dans la capitale allemande pour présenter au ministère des Cultes une demande d’autorisation d’ouvrir en Alsace une Ecole apostolique ayant pour but de former des missionnaires de langue allemande pour l’Asie Mineure. Cette demande, grâce aux protections, fut accueillie favorablement. L’autorisation tardant à venir, il refit en 1908 le voyage de Berlin. Au ministère on lui répondit que sa requête avait été transmise à Strasbourg avec un avis favorable. Mais jusqu’en 1918, toutes les démarches faites à Strasbourg demeurèrent infructueuses. L’évêque de cette ville, Mgr Fritzen, était absolument opposé à la fondation.

 

En 1919, le Père Joseph Maubon demanda au Père Césaire KAYSER de reprendre ses démarches. Mgr Ruch, successeur de Mgr Fritzen encouragea chaudement le projet. Restait à trouver un immeuble et plusieurs recherches dans le Haut Rhin et le Bas Rhin furent sans résultat.

 

Or au mois de juillet il fut appelé dans le Haut Rhin pour visiter une propriété qui, écrivait-on, remplissait toutes les conditions désirables. Par une erreur inexplicable, le Père se trompe de direction et au lieu d’arriver à Kientzheim près de Colmar, il se rendit à Kintzheim aux environs de Sélestat.

 

Comme il était trop tard pour se remettre dans la bonne voie, il se dirigea sur Scherwiller, à 7 kilomètres de là, ayant appris qu’une maison appartenant à un Américain dont il ignorait le nom était à vendre dans cette localité. Au presbytère où le curé était absent, personne ne peut lui indiquer la maison de l’Américain. Cependant la ménagère dit avoir entendu parler d’un Château  à vendre. Le propriétaire est un Mr Meyer, mais elle ignore son adresse. Le Père Césaire ne fut pas long à le découvrir. Mr Meyer possède en effet le Château en question mais ne songe nullement à le vendre.

 

« Maintes fois, dit-il, on m’a fait des offres, et même en ce moment un Juif de Colmar me harcèle de demandes et se déclare prêt à verser n’importe quelle somme pour l’acquérir. Vous me mettriez 100.000,- francs sur la table que je ne le céderais pas ! » Sans se laisser décourager, le Père lui explique le but de son voyage, les difficultés rencontrées jusque là, et l’œuvre sublime à fonder. Il écoute attentivement, surtout quand on lui fait entrevoir la joie qu’il éprouvera à se sentir rajeuni parmi la troupe joyeuse des enfants et, plus tard, à recevoir la bénédiction des premiers prêtres sortis de l’établissement fondé par lui. Visiblement intéressé, il demande au Père d’attendre le retour de sa femme qui rentre presque aussitôt.

 

« Odile, lui dit Mr Meyer, raconte au Père pourquoi nous ne voulons pas vendre le Château. »

 

Mme Meyer, après quelques instants d’hésitation lui dit d’une voix très émue : « Nous sommes tous deux âgés et infirmes, nous n’avons pas d’enfants ni personne dont nous ayons à nous occuper. Notre fortune suffit largement jusqu’à la fin de nos jours. C’est pourquoi j’ai toujours dit à mon mari : « le Château nous ne le vendrons pas, mais nous le donnerons pour une bonne œuvre. »

 

Le Père Césaire répondit avec émotion : « Ne voyez vous pas que c’est le Bon Dieu Lui-même qui m’envoie vers vous et qu’Il veut vous faire les collaborateurs de l’œuvre que je suis chargé de fonder ? Je devais me rendre dans le Haut-Rhin et me voici chez vous sans que de ma vie je n’eusse encore entendu parler de vous. Ne sommes nous pas obligés de reconnaître l’action de la Providencequi a voulu enfin exaucer les prières que nous lui adressions depuis des mois ? » Un instant ils se taisent et se regardent les yeux pleins de larmes. Alors Mr Meyer dit au Père : « Mon Père, le Château nous ne vous le vendons pas, nous vous le donnons. » Et il l’invite à le visiter immédiatement en sa compagnie… Qui osera encore douter de la conduite dela Providence qui nous mène au but quand nous semblons lui tourner le dos ? Quel quêteur découragé par un premier refus aurait pu imaginer qu’il puisse se transformer en une si magnifique générosité ?

 

Dans le bâtiment principal on pouvait aisément loger une vingtaine d’enfants avec dortoir, réfectoire, salle d’étude, ainsi que quatre religieux qui auraient chacun leur cellule. Il y avait en outre dans les dépendances, trois chambres plus modestes, des caves, des écuries et des granges spacieuses. On transforma une partie du hangar en chapelle provisoire, assez exiguë, mais suffisante pour commencer. La propriété d’un demi hectare de bon terrain clôturée d’un mur de2 mètres, devint jardin potager, vigne et champ.

 

L’immeuble semblait avoir appartenu au grand couvent des Augustins de Rouffach. Malgré les manœuvres de certains compétiteurs qui ne manquèrent pas de se présenter, Mr Meyer tint parole, et le 16 mars 1920, le transfert de la maison se fit devant notaire. Il ne se contenta pas de ce premier don. Apprenant que les travaux de cuisines et de lingerie seraient confiés à des religieuses, il s’empressa de donner à leur intention, une maison qu’il venait de faire construire à quelques pas de l’alumnat.

 

Tout naturellement la maison prit le nom de Sainte Odile.

 

Sainte Odile naquit aveugle et à cause de cette infirmité elle fut rejetée par son père Adalric qui avait donné l’ordre de la mettre à mort. Pour sauver son enfant infirme, la mère la confia à une servante fidèle qui selon la tradition, la cacha deux ans à Scherwiller.

 

Sainte Odile est la patronne de l’Alsace, et elle était celle de Mme Meyer, la généreuse bienfaitrice qui mourut avant l’ouverture de l’alumnat, mais qui avait désiré qu’il fût placé sous le patronage de Sainte Odile.

 

Telles sont les circonstances qu’on dirait empruntées aux « paillettes d’or » qui présidèrent à la naissance de la première maison assomptionniste en Alsace. Celle-ci ouvrait ses portes le 16 septembre 1920 à 18 enfants, tous Alsaciens… Le personnel de l’alumnat Ste Odile comprenait le Père Gustave Ranson, supérieur, le Père Marie-Albert Devynck et le Frère Liebermann Weishaar, professeur.

 

Le Père Gustave écrivait le 22 octobre :

 

« Comme toute fondation assomptionniste la nôtre se fait dans la pauvreté, sinon dans un réel dénuement. Nous ne pouvons cependant pas nous vanter d’un héroïsme semblable à celui de la fondation de Notre-Dame des Châteaux, car en arrivant ici, nous avons trouvé des lits au dortoir, des tables et des bancs au réfectoire et en étude, et un peu de vaisselle et des provisions en cuisine. Naturellement rien de confortable, et que de choses nécessaires nous manquent encore ! En Alsace tout coûte plus cher qu’ailleurs ! »

 

L’œuvre prit rapidement racine et se développa. En septembre 1921 les alumnistes étaient 30. C’était le maximum que l’on pouvait recevoir, et si l’on ne voulait pas limiter le recrutement, il fallait songer à bâtir. Le Père Césaire qui avait tant fait pour les missions d’Orient, reprit sa plume et son bâton de pèlerin pour trouver auprès de ses amis, les ressources nécessaires aux constructions projetées.

 

Le plus urgent était la chapelle qui ressemblait par trop à l’étable de Bethléem. On commença par elle. Le Père Jean Baptiste Riotte en fut naturellement l’architecte. La première pierre fut posée par le T.R.P Joseph Maubon le 11 août 1922, et le 16 juillet 1923, Mgr Ruch, évêque de Strasbourg, bénissait solennellement le nouveau sanctuaire en présence du T.R.P Gervais et d’une foule d’invités.

 

Longue de 22,50 m, large de 8,50 m, et haute de 6 m, elle comprend une grande tribune au-dessus de la porte d’entrée, et de deux plus petites de chaque côté du chœur, communicant de plain-pied avec la maison, et destinées à recevoir chacune un autel. Elle a huit grandes fenêtres qui l’éclairent largement. Elle demeura nue jusqu’en1932. A ce moment elle fut décorée avec beaucoup de goût par Mme Mouchel qui s’installa dans ce but à Scherwiller du 15 mai au 25 octobre et qui travailla uniquement pour l’amour de Dieu.

 

La maître autel primitivement en bois, aujourd’hui en marbre de quatre couleurs, est surmonté de la statue de Sainte Odile qui se détache sur une fresque, deux grandes toiles, représentant l’une le baptême de Sainte Odile, l’autre un miracle de la sainte. Le reste de la chapelle et la voûte sont recouverts de motifs eucharistiques et de têtes d’anges. Enfin, de belles stalles remplacent les humbles bancs des premières années.

 

En 1924 le Père Gustave Ranson remit sa charge au Père Michel-Des-Saints Gauliez. C’est lui qui bénit le 12 septembre, la grosse cloche donnée par la famille Brücker de Scherwiller, et qui, depuis le campanile qui domine la chapelle, sonne tous les exercices de la communauté.

 

La chapelle n’était pas encore achevée que l’on commença la construction de l’aile Est du nouvel alumnat, longue de35 mètres, large de 12 et haute de15 mètres.

 

A l’automne 1923, les travaux étaient déjà fort avancés, le toit posé, et l’on envisageait la prise de possession rapide des nouveaux bâtiments. Malheureusement les finances étaient moins prospères que les travaux. L’achèvement intérieur traîna jusqu’en 1927, et les plans furent plus d’une fois modifiés. Enfin le 1er mars 1927 le Père Michel-Des-Saints put bénir la nouvelle aile, et les enfants entrèrent dans leur nouvelle étude.

 

On trouvait dans cette bâtisse au sous-sol, le chauffage central ; au rez-de-chaussée une grande étude et trois classes ; un parloir et un vestibule ; au premier étage les cellules des religieux et la bibliothèque ; au deuxième étage, le dortoir et les lavabos.

 

Le Père Michel-Des-Saints qui avait traversé ces années difficiles fut remplacé en 1929 par le Père Bernard Finaert. Durant son triennat celui-ci eut le souci d’équilibrer le budget et de réparer au mieux les brèches faites dans la caisse par les aménagements. Tâche moins spectaculaire que celle du bâtisseur, mais tout aussi méritoire.

 

En 1932, le Père Nicolas Rauscher prenait la direction de l’alumnat qu’il devait garder jusqu’en 1946, date à laquelle, nommé assistant provincial de Lyon, il rejoignit son poste pour y mourir presque aussitôt.

 

Les années 1932 – 1934 furent consacrées à la transformation du vieux Château de Mr Meyer et à la construction de l’aile Ouest. Cette dernière a une longueur de22 mètres, et une largeur de11 mètres. Elle a au sous-sol plusieurs caves et une grande salle de douche ; au rez-de-chaussée, une cuisine électrique, une avant cuisine, la salle de vaisselle, l’office, un petit réfectoire et deux chambres. Au premier étage, l’économat, la lingerie, l’infirmerie, une salle de bain et diverses chambres. Un immense grenier termine la maison qui pourra, s’il en était besoin, être un jour converti en dortoir.

 

Cette dernière construction fut bénie le 14 décembre 1934, en la fête de Sainte Odile. Tous les derniers travaux et embellissements de la maison sont dus au Père Nicolas qui incarna plus qu’aucun autre de ses prédécesseurs l’alumnat d’Alsace dont il était natif.

 

De 1939 à 1945 l’alumnat de Scherwiller fut fermé. En 1939, la maison abrita les vieillards de l’hôpital civil de Sélestat. Après l’armistice, les Allemands y logèrent d’abord un bataillon du génie, puis une école de jeunes géomètres alsaciens-badois.

 

Les alumnistes furent reçus à Saint-Albin-de-Vaulserre près de Miribel, et y passèrent dix mois heureux sous la conduite du Père Nicolas Rauscher.

 

La libération de Scherwiller eut lieu le 1er décembre 1944, mais les troupes libératrices occupèrent la maison jusqu’au mois de mai suivant. Elle avait hélas bien souffert. Neuf cents carreaux brisés, le chauffage détérioré, les installations électriques arrachées, les murs salis, les planchés brûlés, les pupitres des élèves et la plupart des matelas emportés en Allemagne. Une bonne partie de la bibliothèque avait été vendue comme vieux papier, et les machines à imprimer le bulletin avaient été confisquées.

 

A la chapelle c’était l’abomination et la désolation ! Les Allemands l’avaient détériorée et profanée. Ils en avaient fait une salle de fête, avaient enlevé l’autel et muré les deux tribunes latérales. La décoration des murs avait disparu. On avait essayé sans y réussir, de faire sauter le soubassement en ciment de l’autel, et pour niveler la salle on avait arraché les degrés carrelés du sanctuaire. Heureusement le Père Florian Grisemer, économe, avait réussi à faire enlever toutes les plaques de marbre.

 

Le Père Nicolas et le Père Florian se remirent courageusement à relever les ruines. Aidés de deux prisonniers allemands, le Père Florian repeignit la chapelle à neuf et fit reposer l’autel, pendant que maçons, peintres, électriciens, menuisiers et plafonneurs s’affairaient dans la maison pour la remettre en état.

 

Les travaux furent menés avec une telle diligence que l’alumnat Sainte Odile avait pansé ses plaies et retrouvé son air joyeux le 23 septembre 1945, date à laquelle il rouvrit ses portes à 27 petits Alsaciens furent les seconds fondateurs…

 

Les derniers aménagements se poursuivirent durant une partie de l’année scolaire. Le 3 juin 1946, le Père Nicolas Rauscher, délégué par Mgr Weber, évêque de Strasbourg, bénissait la chapelle restaurée, et la cloche muette depuis cinq ans, sonnait la résurrection de l’alumnat Sainte Odile. En 1946, l’alumnat accueilli 56 élèves. C’était le 25ème anniversaire de la fondation. Depuis lors, le Père Alexis Diss continue l’œuvre du Père Nicolas.

 

Quels furent les résultats de ce premier quart de siècle ? Nous avons déjà dit que l’alumnat fondé avec 18 enfants, en avait 30 en 1922. Puis le nombre s’éleva à 60 et s’y maintint quelques années. A partir de 1930 il ne cessa de croître pour atteindre 90 en 1939. Jusqu’au moment de la fermeture à la déclaration de guerre, on avait reçu 420 élèves. Sur ce nombre, 140 sont arrivés au sacerdoce ou en approchent. 50 au diocèse de Strasbourg, 72 à l’Assomption, 12 dans d’autres ordres, et 6 dans divers diocèses. Ainsi donc c’est un bon tiers qui a persévéré, avec une moyenne de 7 prêtres par an.

 

La guerre sans doute a été une cause de perte de beaucoup de vocations. Néanmoins on peut estimer extrêmement consolante la proportion de celles qui ont tenu. Je ne pense pas que beaucoup d’institutions puissent se glorifier de semblables succès.

 

Il faut l’attribuer pour une grande part à l’excellence du milieu d’où viennent les alumnistes. La plupart sont issus de familles alsaciennes de la campagne, où la foi est robuste, les mœurs pures et les enfants nombreux. L’enseignement est donné avec soin dès l’école primaire par des instituteurs chrétiens. Dans cette atmosphère salubre s’épanouissent naturellement les fleurs de sacrifice et les désirs d’apostolat. Tous les anciens qui ont atteint le sacerdoce : vicaires, curés, doyens, professeurs, missionnaires, font honneur au berceau de leur vocation et continuent à le soutenir en lui envoyant des recrues.

 

Du haut du ciel, les Père Césaire et Nicolas qui furent les principaux artisans de l’alumnat Sainte Odile, le protègent, et lui gardent, avec le vivant esprit du Père d’Alzon, son dynamisme naturel...

  

POST SCRIPTUM

Que diraient ces Pères s'ils voyaient aujourd'hui ce qu'est devenu leur alumnat, et que diraient les époux Meyer 

qui leur en firent don ? 

Ce n'était finalement pas tant la vétusté des bâtiments ni le vieillissement des Pères qui eurent raison de son existence, mais le manque de vocation...